Vienne la Rouge, épisode 4

Publié le par Fred

Intermezzo Musicale

 

L’homme sentait l’angoisse doucement l’envahir. Son coeur commençait à se nouer, et  une sueur froide coulait lentement le long de son dos; ses mains se couvrant d’une désagréable moiteur . Tout à l’heure, pourtant, il ne faudrait pas trembler. Il savait qu’ils ne seraient en aucun cas indulgents, que la moindre erreur lui serait reprochée.

Si seulement il était sûr de pouvoir compter sur ses compagnons, mais ceux-ci, tout à leur ego et à leur individualisme, ne manqueraient pas de l’abandonner si, d’aventure, les choses tournaient mal .

Délicatement, il mit ses gants noirs. Le moment approchait. Une dernière prière, un dernier regard pour son précieux accessoire. Allons, il était l’heure.

Une fois la porte franchie, la vague d’applaudissements éclata.

Le maestro levait sa baguette, la symphonie pouvait débuter....

A Vienne, on va au concert  comme on va à la messe.

Comme à l’église les prie-Dieu les plus confortables, les premiers rangs du parterre sont ici réservés aux sommités, célébrités et grandes fortunes de la capitale...

Comme à l’église, il est de bon ton de se montrer, d’arborer les toilettes les plus coûteuses et les plus chics, de verser ostensiblement les pourboires les plus élevés.

Comme à l’église, enfin, le silence se fait ici religieux et il n’est pas convenable d’interrompre le concert par des toux intempestives ou des bruits incongrus.

C’est seulement entre deux lieder, entre deux mouvements, qu’il est permis de chuchoter, bouger, voire tousser, ce dont ne se prive guère le parterre sénescent et tuberculeux .

Dans cette cathédrale de la musique et du bon goût, qui tient du temple grec pour l’architecture et du byzantin pour les dorures, on n’adore ni Jésus ni Bouddha mais Mozart, Alban Berg ou Palestrina .

 Jonas, quand son métier lui en laissait le temps, ne manquait jamais de venir se ressourcer ici, parmi les angelots et les cariatides, les sonates et les toussotements.

Comme tout le monde, il appréciait la richesse et la diversité de la programmation, et la qualité des interprètes invités.

Certes, il lui arrivait parfois d’y regretter l’absence de Gorécki ou de Moussorgsky, de blâmer le classicisme des chefs d’orchestre, bien loin des excès passés d’un Fürtwangler ou de la virtuosité de Toscanini, mais l’important n’était pas là.

Pendant les deux heures que durait le concert, Jonas oubliait les affres de sa fonction, les cadavres et les assassins, les mobiles et les autopsies.

L’affaire dont il s’occupait actuellement n’était pourtant pas des plus simples: trois meurtres en trois lieux différents...

Apparemment, les trois crimes n’avaient rien en commun, et, si l’autopsie n’avait pas attiré l’attention du commissaire sur le cas du fonctionnaire Hans Geiger, la thèse du suicide aurait prévalue, et rien ne se serait opposé à l’inhumation du noyé dans sa commune natale.

Sous prétexte de calmer le jeu, le commissaire principal Werner Ludwig avait chargé Hasek de coordonner l’enquête des différents arrondissements.

De même, le principal avait bien essayé de plaisanter, d’invoquer l’aide de Rex, Derrick ou Stockinger, mais Jonas sentait que le coeur n’y était pas.

Si le mystère persistait, en effet, Jonas pourrait dire adieu à ses rêves lyonnais, et le commissaire Ludwig à  son voeu d’une retraite paisible dans sa maison du Salzkammergut.

Pourtant, l’heure n’était plus à l’enquête, et Jonas applaudissait à tout rompre la fougue maîtrisée du jeune maestro.

 

4 Wieden

 

Yves Monceau était un jeune homme ambitieux. Conseiller économique de l’Ambassade de France en Autriche, il avait été rapidement surnommé « Lucky Lucke », l’homme qui dégaine plus vite que son ombre, les cartes de visite en l’occurrence.

Il était de tous les dîners mondains, de tous les raouts, tous les cocktails où il arborait en permanence un air hautain et supérieur. Il alliait d’ailleurs la morgue diplomatique ( le Ministère Français des Affaires Etrangères se targuant d’être l’institution qui recensait le plus d’aristocrates et de fils-à-papa) à la suffisance de l’ancien énarque. Si il n’était pas vraiment du sérail; les services économiques n’avaient pas le prestige de la chancellerie diplomatique; il appartenait cependant à la Cour, cet aréopage de personnalités toujours prêtes à accourir, promptes à répondre au moindre désir de l’Ambassadeur.

Monceau était pourtant unanimement détesté par ses pairs, du moins plus qu’il n’est coutume dans ce milieu.

N’avait-il pas provoqué le départ de son prédécesseur, le trouvant trop mou, trop embourgeoisé dans ce poste qu’il occupait depuis prés de cinq ans; n’avait-il pas su distiller son fiel, embarrasser  de sa présence le moindre sous-directeur, n’avait-il pas su mêler ténacité, sens politique et art de frapper aux bonnes portes ? Son ascension avait été trop rapide pour être tolérée .

Depuis septembre, il était donc titulaire du poste, et promis à un plus grand avenir encore.

Certes, l’Ambassadeur se méfiait bien un peu de ce jeune arriviste aux dents longues, si longues, mais il n’était pas de taille à lutter; Son Excellence ne connaissait d’ailleurs rien à la politique, ni même à la diplomatie; c’était un homme de lettres, un écrivain, journaliste adulé par Paris et qui avait vu ses bons offices et ses chroniques laudatives récompensés par le Prince .D’ailleurs, Vienne n’était pas une destination primordiale pour la Carrière, un bâton de maréchal tout au plus .

Mais revenons à Monceau .... Au cours d’une de ces soirées vides passées à tuer le temps dans un bar branché de la capitale; mauvais cognacs, filles faciles et étreintes furtives, il avait fait la connaissance de ses collègues américains et allemands, eux-aussi en quête de sensations et de maladies vénériennes.

Communauté d’intérêts aidant, ils avaient sympathisé, étaient rapidement passés au chapitre professionnel, puis s’étaient mutuellement prodigués conseils et recommandations.

Il était alors un peu malsain de voir ces trois hommes, représentants de trois puissances économiques mondiales, se partager cyniquement marchés et entreprises, dans une odeur fétide de tabac froid et de relents d’alcool.

Puis, les choses étaient allées plus loin. Dans l’euphorie d’une nouvelle sympathie, les renseignements donnés s’étaient avérés de plus en plus confidentiels, et de plus en plus cruciaux. Monceau avait mis le doigt dans l’engrenage, il s’en était d’ailleurs rendu compte et avait été dégrisé rapidement : les prétendus «  tuyaux » donnés par ses homologues étant apparus plus ou moins « crevés », au contraire des siens .

Dorénavant, il fallait ne plus rien révéler, celer le moindre détail, et espérer pouvoir éteindre l’incendie allumé par ses soins. Car on commençait  à jaser ....

tout à ses ombres méditations, Monceau s’approchait de la «  Hochstrahlbrünnen », cette fontaine érigée du temps de l’occupation soviétique pour honorer les morts de l’Armée Rouge, et que les Viennois avaient rapidement surnommés « Au Pillard Inconnu », et qui faisait face aux volutes et balcons mordorés de l’Ambassade de France.

Ce basin circulaire, surmonté d’un fier guerrier, servait aujourd’hui de lieu de ralliement pour les employeurs en quête de travailleurs peu regardants sur les conditions de travail et de salaires; ils savaient qu’ils y trouveraient de jeunes polonais, tchèques ou bulgares à la recherche d’emploi et de devises.

 

C’est non loin de cette fontaine que les pas de Monceau croiseraient ceux de son assassin.

 

Metzger avait, cette fois encore, choisi la sophistication. Comme le IVème  arrondissement, où il avait décidé d’oeuvrer, était, entre autres, le quartier des ambassades, il avait décider d’honorer le monde de la diplomatie et de l’espionnage en se fabriquant un parapluie bulgare, cette arme (un parapluie à la pointe trempée dans un poison violent), utilisée par le KGB pour éliminer discrètement les dissidents. Cela n’avait pas été trop difficile grâce au contenu de la valise léguée à son meurtrier par Kontchaieff : l’homme d’affaires russes transportait en effet une véritable panoplie d’empoisonneur . Au bonheur des drogues, rien ne manquait : curare, strychnine, digitaline, méthadone, tous les poisons chimiques possibles et imaginables.

«  Un don du ciel », pensa cyniquement Metzger. Il comptait d’ailleurs ultérieurement réutiliser ce vade-mecum de la Brinvilliers.

Quant à Monceau, il l’avait (presque) choisi au hasard .Lui-aussi tenait une mallette: superstitieux comme nombre de grands hommes, le criminel aléatoire avouait une prédilection pour les serviettes, valises et autres attachés-cases.

C’est Karlsplatz qu’eut lieu le crime, entre la baroquissime église Saint-Charles et le Musikverein, temple de l’historicisme et du conformisme musical; c’est là que Metzger, faisant mine de demander du feu au jeune diplomate, enfonça la pointe du parapluie dans la cheville du malheureux; puis il alla s’asseoir profiter du spectacle.

Monceau ne sembla pas, à première vue, ressentir la moindre douleur. Metzger le vit cependant subitement tituber, porter la main au front, comme pris de vertige, puis s’écrouler finalement dans une flaque.

Il avait belle allure maintenant, le bel Yves: la cravate souillée de boue, langue pendante et yeux fixes, le costume italien fripé et sali . Le criminel regardait son oeuvre avec un mélange de contentement et de surprise:  « Belle petite gueule, le bougre ».

 

En quittant la place, il eut un amical salut pour la statue de Johannes Brahms, l’immortel auteur du « Requiem Allemand », oeuvre alors de circonstance, avant de rejoindre le tramway et de préparer sa prochaine intervention.

 

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Hasek avait vu juste. Maintenant qu’ils tenaient un coupable, (ou du moins un suspect, mais n’allez surtout pas embêter la police avec ces arguties juridiques), ils n’allaient pas le lâcher aussi facilement. Il eût beau argumenter, vitupérer, menacer ses collègues du IIIème ne voulaient pas en démordre: l’italien n’avait pas d’alibi, il avait un mobile, il ferait donc un coupable tout à fait acceptable; Hasek n’insista pas, Renzo n’était pas encore jugé.

Et puis, la résignation qu’il avait lue dans les yeux de Catalani ( à quoi bon résister puisque l’amour de sa vie était à tout jamais absent) lui faisait mal. Il lui fallait vite quitter ces lieux.

D’ailleurs, il devait rentrer, il n’avait guère dormi et s’était contenté comme petit déjeuner d’une « Würst », saucisse grillée ruisselante de graisse.

Il ne se doutait alors pas que, dans deux heures à peine, il serait informé de la découverte du corps d’Yves Monceau dans une allée du parc Ressel. Il ne serait certes pas dérangé longtemps par l’enquête: vu la nationalité et la qualité de la victime, les hautes autorités policières négocieraient avec les Français, et les « Grandes oreilles » de la DGSE française mèneraient leurs propres investigations, secrètement cela va de soi.

Le mystère s’épaississait, et, si Jonas ne trouvait rien, Vienne allait rapidement perdre sa réputation de capitale la plus sûre d’Europe, slogan répété à l’antienne sur les affiches électorales du maire . On était certes encore loin de Chicago ou du Bronx, voire de Naples, mais à ce rythme .......

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Publié dans Essais littéraires

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