Mes lieux de mémoire

Mes lieux de mémoire

 

Eloyes

 

C’est donc ici que tout a commencé, que l’enfant timide et gentil que j’étais s’est transformé, que je suis sorti prématurément du cocon et de la chrysalide pour devenir cet être tourmenté, pétri d’orgueil et de contradictions ; qui si il n’avait pas  été entouré par une famille comme la mienne, si il n’avait ultérieurement pas effectué des rencontres salvatrices, aurait pu pâtir longtemps des conséquences de cet âge de la vie- plus tout à fait l’enfance, pas encore l’adolescence – marqué par la solitude et l’humiliation.

 

C’est ici, dans cette petite ville industrielle, traversée en son sein par la Moselle, dans ce gros village réputé pour sa fabrique de glaces, c’est ici, entre ces bâtiments préfabriqués et ce préau, ici dans ce collège de campagne que j’ai vécu les trois années parmi les pires de ma courte vie.

 

C’est ici que j’ai connu le martyre des récréations et des déjeuners à m’inquiéter de savoir qui accepterait, qui daignerait manger à mes côtés. Je n’avais alors pas apprivoisé la solitude.

Les récréations, j’en avait fait mon deuil depuis longtemps et je les consacrai à m’adosser aux murs blancs et me plonger dans les ouvrages de la bibliothèque verte, en espérant qu’aucun de mes camarades ne vienne me déranger en me provoquant ou en souriant d’une manière un peu trop ironique à mon goût.

 

C’est ici que j’ai connu l’humiliation de quémander une ou plusieurs feuilles de papier supplémentaires à mes congénères, un jour, où particulièrement prolixe, j’avais consommé mon maigre stock de papier ….

 

C’est ici que je vécus ces micro-événements, ces épiphénomènes dus à  la bêtise de certains gamins : chewing-gums collés sur les blousons, plaisanteries stupides sur les noms et les prénoms ( j’eus droit à toute la panoplie ; je n’ai pourtant pas un nom qui prête immédiatement à rire, mais l’imagination de mes persécuteurs n’avait d’égal que leur imbécillité ) ; les trousses, stylos se  métamorphosant en ballons de rugby ou de football .

 

C’est ici que j’ai découvert l’indifférence ou la lâcheté des autres, la vile multitude ; les empêcheurs d’étudier en rond ne constituant qu’une minorité, cependant soutenue par le mutisme et l’absence de réactions du reste de la classe.

 

C’est ici aussi que j’ai découvert l’injustice des punitions collectives infligées par des surveillants excédés par le chahut et les bavardages, punitions que je transformai alors en compositions littéraires, emplies de tournures métaphoriques et d’emprunts à mes lectures, petite revanche bouffie d’orgueil face à la médiocrité des uns et des autres.

 

Certes, je n’ai pas véritablement subi de pratiques avilissantes, de celles que l’on reproche aux bizutages, de celles qui inspirent plus tard d’atroces traumatismes et pathologies.

 

Certes, je n’ai pas eu à me plaindre du corps enseignant – à quelques exceptions prés, la loi du plus fort trouvant souvent ses défenseurs parmi les professeurs de sport - ; au contraire, ils ont parfois révélé mon calvaire à des parents surpris et révoltés.

 

 

Certes, je n’ai pas eu que des persécuteurs ; et si les bons souvenirs de cette période sont rares, j’ai parfois connu des moments de rire, de folie et de consolation.

 

Je n’oublierais pas nos projets, avec un ou deux camarades de fonder un journal scolaire, nos réunions à trois dans un bureau déserté de l’Administration ; nos plaisanteries parfois salaces de préadolescents pré-pubères., le soutien timide du Principal, un peu épouvanté de voir des élèves faire preuve d’initiative.

 

Je n’oublierai pas cette jeune britannique, venue dans quelques jours dans le cadre d’un échange scolaire et dont j’ai malheureusement tout oublié, jusqu ‘à l’apparence, mais à qui je dois ma première consolation. N’avait-elle pas indigné toute la classe, et plus précisément mes persécuteurs, en les affublant de « crules » (cruels) ?

 

Je n’oublierai pas non plus ces moments de sociabilité, qu’était malgré tout le cross du collège. Quelle victoire ce fut pour moi la seule fois que je l’ai terminé, m’offrant de surcroît le luxe de ne pas terminer dernier, après un sprint épique dans le dernier virage ; obtenant ainsi le droit de bénéficier du verre de l’infâme verre de « Viandox » qui était servi aux arrivants…

 

Je me souviens encore de bien d’autres choses : les excursions de fin d’année, bucoliques et décontractés, les matches de football où je tentais, tant bien que mal, d’obtenir le ballon pour marquer un but sublime à la Platini ; de l’excitation provoquée chaque trimestre par la compétition et les examens en Mathématiques, Français et Allemand .Je me souviens enfin de mon premier échec et de la crise de nerfs qui le suivit : le Brevet de Sécurité Routière, échec plus dû à mon refus du sport scolaire qu’à mes médiocres qualités de conducteur .

 

C’est donc là que je devins ce jeune homme orgueilleux, boulimique de lecture et avide de réussite, c’est donc ici que naquirent mon égocentrisme et ma nervosité, ma paranoïa et ma sensibilité, c’est donc ici que je devins celui que je suis.

 

C’est ici, enfin que j’appris la haine, pour mes petits bourreaux, conscients ou non de leur méchanceté, souvent plus bêtes que méchants.

Je me demande parfois ce que je ferais si j’en rencontrais un aujourd’hui, alors que dix ans ont passé. Je l’ignore, mais l’annonce récente de la mort d’un de ces terroristes n’a pas réussi à m’émouvoir, et j’ai même eu du mal à étouffer un peu chrétien sentiment de jubilation ……

 

Lyon

 

Ce fut un de premiers Orients, une destination souvent souhaitée, désirée, idéalisée .

 

Croix-Rousse, Bellecour, Fourvière, j’en connaissais tous les quartiers, sans jamais alors y avoir mis les pieds. C’est que dans ma boulimie livresque et ma solitude collégienne, je m’étais pris de passion pour les fameux «  Six Compagnons de la Croix Rousse », héros lyonnais dont Paul-Jacques Bonzon nous narrait les exploits dans la «  Bibliothèque Verte ».

Très vite, je me suis mis à vibrer pour les enquêtes de cette bande de jeunes lyonnais, et rêvais de découvrir Fourvière et les pentes de la Croix-Rousse ; la colline qui prie et celle qui travaille., le Parc de la Tête d’or et la gare de Perrache.

 

Seule Toulouse, dans ma géographie imaginaire, revêtait autant de charme et de mystère que l’ancienne capitale des Gaules.

 

Un jour, enfin, grâce à un camarade, lyonnais d’origine mais venu dans les Vosges suivre son père commissaire de police ; je pus atteindre cet Orient.

 

J’avais 17 ans, et c’était là mon premier voyage en solitaire.

 

Bizarrement, je me souviens de peu de choses de ce séjour, de la démesure de la gare de La Part-Dieu ( et de sa tour en forme de crayon), de Bron, où nous logions et où demeurais la grand-mère de mon camarade, et de ses  lotissements déserts ; d’un sandwich dévoré face à la cathédrale Saint-Jean ; de ma déception devant les traboules, aussi.

 

Ah, comme j’avais brûlé de les voir, ces passages voûtés qui reliaient cours, maisons et quartiers dans un lacis de labyrinthe !  La lecture des aventures de mes six héros m’avait tant de fois donné envie de m’y perdre, d’y mimer des poursuites invisibles, de plonger dans les méandres de l’histoire, la petite et la grande, celle du massacre des Canuts et de la Résistance.

Mon camarade, cependant n’a pas voulu écouter l’appel de l’aventure, prétextant je ne sais plus quelle raison de sécurité ; je n’ai donc fait qu’ approcher ces cavernes urbaines.

 

Je mentirais pourtant en disant que le ville m’avait déplu. Je percevais simplement toutes les nuances qui peuvent exister entre une cité de roman et la troisième agglomération française.

 

Le Lyon que j’aimait alors c’était celui que mon imagination avait recréé : passages voûtés et ruelles en pente, souffle de l’histoire et ateliers de canuts ; ce n’était certes pas celui des raffineries sur le Rhône, ni même celui de Fourvière, sa basilique carton-pâte et son tunnel, terreur des automobilistes soucieux de leur moyenne .

 

A la fin de ce premier séjour, tous les lieux de cette ville que j’avais tant rêvé de découvrir avaient été visités, et leur magie mise en pièces. Le pèlerinage avait tourné au sacrifice des illusions et des souvenirs imaginaires d’un gamin de douze ans …

 

Plus tard, bien plus tard ( trois ou quatre années plus tard, en fait, mais la rencontre qui avait bouleversé ma vie reléguait les années précédentes dans une sorte de Préhistoire, un Avant que je souhaites oublier …) ; je repasserai par Lyon, j’y transiterai – dans le cadre de mes escapades amoureuses -, j’apprendrai à connaître la ville, la reconnaître, à l’apprivoiser, et les Monts d’Or, patrie de Paul Bocuse et capitale d’une certaine gastronomie, me paraîtront à chaque fois plus familière ; après elles, ce seraient les derniers tunnels, quelques paysages industriels, puis l’arrivée en gare, le temps des retrouvailles pourrait alors recommencer.

 

Je ne savais pas alors, qu’à l’issue d’un exil consenti en terre impériale, je connaîtrais une ultime parenthèse lyonnaise, je ne savais pas alors que durant dix-huit mois de labeur au département, j’aurais largement le temps d’arpenter les rues et les pavés de la Cité des Gaules.

 

D’autres images imprégneront alors mon esprit : une Coupe du monde partagée avec l’ensemble de la ville, des escapades piétonnières et cyclotouristes dans Saint-Paul ou dans le Beaujolais, un soir de Fête des lumières ou de fête de la Musique; une manifestation ou un défilé de danse, une soirée à Gerland ou dans un café philosophique enfumé de la Presqu-île.

 

Lyon fut cette ville qui me vit partir pour la première fois en solitaire et qui marquera mes derniers jours de célibataire avant l’aventure de la vie à deux…

   

Remiremont

 

C’est une ville vieille, confite dans ses traditions et son conservatisme, recroquevillée et desséchée comme les Bigotes du Grand Jacques.

 

C’est une ville qui bruisse de non-dits, de rumeurs, de médisances et de sermons, de cours de morale et d’anathèmes.

 

C’est une ville qui se meurt, qui se délite, se désagrége, réussissant le tour de force de perdre 10 % de sa population à chaque élection.

 

Pourquoi tant de haine, me direz-vous ?

 

C’est que je ne fais que rendre la monnaie de sa pièce à cette cité, qui restera maudite à jamais dans notre histoire familiale.

 

C’est une ville, où dans l’immédiat après-guerre, il ne fallait pas être fille de mère célibataire, de «  fille-mère «  comme on disait à l’époque : cela vous présageait un futur d’humiliations, d’affronts et de poings serrés. 

 

C’est une ville, où dans ces années 50, les dames patronnesses n’hésitaient pas à déplier ostensiblement le ( gros) billet qu’elles versaient comme offrande à la quête.

 

Et que dire de ces institutions religieuses ( ces chères écoles libres) qui, lors des cérémonies des prix, récompensaient les élèves, non en raison de leurs résultats scolaires, mais en fonction du montant de l’obole versée par les parents ? Ces gens ont plus fait pour l’anticléricalisme et l’anarchie que tous les Proudhon et Voltaire réunis.

 

C’est une ville qui suinte la xénophobie et l’intolérance, qui relègue dans ses hauteurs et sa périphérie les laborieux ou les gens de peu, le coquet centre-ville ne devant en aucun cas être pollué par la présence de la plèbe .

 

C’est une capitale de l’hypocrisie, où tout se sait mais rien ne s’écrit : des histoires de cœur aux histoires de cul, des mœurs inverties de plusieurs notables aux penchants pour les lolitas pré-pubères de tel autre .

 

C’est une ville rance qui sent le maccarthysme et la collaboration, les délations sournoises et les chasses aux sorcières…

 

Pourtant ….

 

Pourtant, c’est ici que j’ai appris la musique dans l’orchestre à plectres où j’ai passé dix ans.

L’ambiance y était certes austère, peu de places pour la rigolade, et l’ambiance n’était pas forcément la meilleure qui soit. Pourtant, je ne peux que célébrer le dévouement des bénévoles, de ce couple qui vibrait pour la passion de la musique comme les religieuses s’embrasent pour la foi…

 

Pourtant, c’est ici que mes années scolaires furent parmi les meilleures ; je n’étais plus l’exclu d’un collège de campagne, je participais dignement à la vie de la classe, un peu confident, un peu le bon élève ( mais ici, nulle conséquence douloureuse de ces bons résultats) ; je vivais comme les autres : il m’arrivait de me déguiser pour le Père 100, de profiter du soleil dans la cour du lycée au Printemps, de fréquenter le foyer, d’y jouer au tarot ou d’y suivre le tournoi de Roland-Garros ( d’ailleurs, mon poignet s’en souvient). Il m’est même arrivé de participer aux repas de fin d’année, honneurs inespérés auparavant .

 

Et que dire de ces joutes électorales que nous suivions, nous qui étions trop jeunes, lors de l’élection Présidentielle de 1988 ; que dire de l’émotion que fut pour moi l’ouverture du mur de Berlin ?

 

Enfin, j’étais un ado comme les autres, je retrouvais le chemin du bonheur et de la normalité.

 

Mes années d’université me permettraient de transformer l’essai …

 
 

Vienne

 

Tout avait commencé par une conversation téléphonique banale, une bouteille à la mer dans l’océan d’une conjoncture morose : la France du juppéisme grognait, les grandes grèves de 1995 bloquaient les transports, les Français réapprenaient les vertus de la marche à pied et des débats enflammés ; un nouveau lien social se développait et je me morfondais, du haut de mes 4 mois de chômage, entre lettres de motivations, réponses parfois polies mais toujours négatives et espérances déçues ….

 

C’est ainsi que je me suis décidé à envoyer CV et candidature à Vienne (Autriche), à une connaissance familiale qui y exerçait une mission d’attaché linguistique aux services culturels de l’Ambassade.

 

Deux mois après, il m’appelait et me proposait un poste (certes subalterne) à l’Ambassade de France en Autriche ….

 

Nous commencions alors une autre année, une autre époque : celle qui allait devenir ma femme venait de passer quelques jours à la maison, François MITTERAND venait de mourir, clôturant ainsi une décennie de rêves évaporés et de maquignonnages, de pouvoir de l’argent et de d’amertume et je m’apprêtais à partir, ce fameux soir d’hiver, dans ce train qui m’amenait, moi et mes deux bagages, vers l’ancienne capitale impériale ….

 

Je me souviendrais toujours de mon arrivée, à la Gare de l’Ouest, après plus de trois heures de retard, l’hiver et l’inefficacité de la bureaucratie autrichienne ayant bloqué le train dans une campagne de la Haute-Autriche ; de mes premières nuits passées au Studio Molière, de la petite cuisine partagée avec une stagiaire de l’ENA …..

 

Ambassade de France en Autriche, tout dans cette locution évoquait déjà le mythe, celui de la Vienne impériale et des salons dorés de la République, des intrigues de cour et des coulisses feutrées ….

 

Je perçus vite l’envers du décor, et je me régalais alors  rapidement à décrire et observer le petit cénacle des Français de Vienne, le microcosme de la médiocrité et des jalousies : attachés culturels pédants et compassés, coopérants blasés et paresseux, antiques syndicalistes Autrichiennes qui marquaient le Palais de leurs soupirs et des claquements de leurs sabots d’intérieur ; lutte de pouvoirs et débauche d’argent public .

 

J’y ai cependant vécu d’extraordinaires moments : excursions dans les Archives de l’Occupation française en Autriche et dans les Archives Impériales et Royales à la recherche du Prince de Ligne ; visite du quai d’Orsay et inventaire du Mobilier National ; conférences sur l’Ambassade de France à l’occasion des Journées du Patrimoine ; découverte des riches rayons de la bibliothèque Bidermeier de l’Institut Français de Vienne ; rencontre avec des artistes francophones (groupe de rock alternatif, prêtre, réalisateur indépendant ) ; cours de langues, de conversation ou même de civilisation française donnés à des étudiants …..

 

Quant à la ville, j’appris vite à dépasser le kitchissime cliché traditionnel : Sissi et les palais royaux, le centre historique et ses caléches …

 

J’ai alors exploré les arrondissements périphériques : Josefstadt et Neubau, ces anciens faubourgs où habitaient une certaine Intelligentsia et que le brouillard et le froid transcendaient en village mystérieux d’un lied de Schubert ; Grinzing et le Kahlenberg, vieux quartiers vignerons et qui on su garder leurs collines, leurs sentiers et leur panorama grandiose ; les arrondissements d’outre – Gürtel, ensuite, ce boulevard de ceinture où, entre grands ensembles et prairies sauvages, jardins ouvriers et Guinguettes, se découvrent une vieille maison bourgeoise ou un décor « Art Nouveau » ; Floridsdorf et Donaustadt enfin, les arrondissements riverains du Danube (le vrai, noirâtre et un peu sale, en aucun cas le bleu des musiciens et des chansonniers ), leur petit air de Hollande avec leurs canaux, et cette grande île artificielle, paradis des nudistes, des rollers et des amoureux ; tous ces quartiers faisaient la vrai personnalité de Vienne, ambivalente et ambiguë, entre tolérance et conservatisme, culte du « bio » et de la tradition ….

 

Vienne, indéniable capitale culturelle où, en deux années, j’ai pu voir  à moindre coût une vingtaine d’opéras et de ballets, où j’ai pu assister à des concerts par les plus grands solistes, j’ai surtout pu y (re)découvrir de grands auteurs, où j’ai aussi commencé à écrire, à noircir des pages et des cahiers, moments musicaux ou caricatures acerbes, romans policiers ou lettres d’amour …

 

Vienne, centre de l’Europe, enfin, où un poste de radio vous emmène en Ruthénie ou en Galice, où en  quelques heures de train, vous pouvez atteindre Graz, Cracovie, Budapest, Prague ou Salzbourg, Klagenfurt et Trieste ….

 

Aussi, malgré tout, malgré le mal du pays et le mal d’amour, malgré les agacements envers nos amis autrichiens, malgré la lassitude de l’exilé, déconnecté de tout, débranché et désabusé, j’ai passé dans ces lieux deux années parmi les plus riches et les plus formatrices de ma courte vie …

 

Mon retour s’organisa, cependant, aussi vite que mon départ, sur un coup de tête, un coup de téléphone et un coup de dés …

 

Presque deux ans après être parti, je revenais en France : une autre page de mon histoire pouvait alors débuter …….

 

Pont Saint Vincent

 

 
 
Le verdict a retenti comme un couperet : je devais effectuer mon service national à Pont Saint Vincent, au Centre d’entraînement des Commandos ….

 

La proximité de mon lieu de casernement ne parvenait pas à compenser la déception et la crainte : moi qui étais des plus rétifs à  la chose militaire, je devais intégrer une unité d’élite, un corps de « marines » composé de bêtes de guerre, où ma frêle musculature et ma condition physique poussive ne sauraient que souffrir …..

 

J’ignorais alors que les choses ne se passeraient pas tout à fait comme je me l’étais imaginé….

 

Au lieu de vivre des moments d’âpre violence dignes de Rambo, ce séjour quelque peu involontaire consacra plutôt les Gaietés de l’Escadron, rétifs que nous étions tous à la discipline et surtout inaptes au tir, au parachutisme, à l’art de défiler ou à toutes ces nobles composantes de l’art militaire ….

 

Ainsi, après à peine deux semaines de « classes » à peine marquées par une courte manœuvre et une nuit glaciale dans un trou de combat, nous bénéficiions déjà d’une permission et notre mois liminaire s’acheva en restaurant une pièce (peinture, papiers peints, sols) destinée à quelque obscur sous-officier.

 

Ensuite, une fois arrivé dans ce qui devait être notre affectation définitive, nous furent tous envoyés dans les services où nous devions œuvrer ; qui au garage, qui, à l’infirmerie, qui, au standard, qui au secrétariat du capitaine…

 

Pour ma part, escorté de mon fidèle acolyte Daujard, nous nous vîmes appelés à l’Ordinaire (c’est à dire, au réfectoire) où l’un et l’autre devions veiller aux stocks et à l’intégrité du magasin .

 

Ainsi passèrent ces neuf mois, entre travail de bureau et week-ends de permanence, virées nocturnes dans Nancy et quelques ( très) rares tours de garde ( lesquels, hormis la fois où, tremblant de trac et d’excitation, j’étais chargé de dresser les couleurs ; lesquels consistaient surtout en une nuit de calme et d’une seule et unique ronde nocturne, pendant laquelle nous poinçonnions les cartes qui devaient attester de notre conscience professionnelle), entre cross country, « sorties terrains »et entraînement au défilé, entre parties de football près des rivages envahis de moustiques de la Moselle et lecture du Monde ( !!!), de l’Equipe ou de l’Est républicain au foyer du régiment ……

 

On le voit, je ne fus guère traumatisé par mon service national, et je me souviens avec bienveillance de tous les camarades que j’ai alors croisé….

 

La chute de cette expérience fut des plus ironiques : moi qui ne savait rien faire, ni tirer, ni défiler, qui souffrait et soufflait après à peine 5 km de footing, je terminais ma carrière militaire comme caporal chef et fut distingué par la Médaille de la Défense nationale, au cours d’une cérémonie épique, pendant laquelle l’heureux récipiendaire à l’heure de saluer le valeureux capitaine, entra en collision avec son voisin…..

 

Cérémonie fatalement à l’image de ces dix mois d’escadron, ridicules et décalés …..

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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