Vienne la Rouge , épisode 2

Publié le par Fred

2. Leopoldstadt

 

Le criminel approchait d’Augarten . Bien qu’il fût seulement 18 heures, il faisait déjà nuit .

Pourtant, il hésitait à pénétrer dans le parc . A cette heure, seuls des enfants et leurs mères y jouaient, et il lui répugnait toujours de s’attaquer à des enfants; il y songeait parfois : un meurtre d’enfants était toujours spectaculaire et l’indignation assurée . Mais il imaginait alors le regard effrayé et étonné de ces victimes potentielles; il savait qu’il ne pourrait les supporter.

Aussi, préférait-il attendre qu’ils grandissent, alors, ses scrupules envolés, il n’hésiterait  aucunement à les occire .

Il éviterait donc Augarten, certes à regret, car il se sentait inspiré par les  horribles blockhaus érigés par les nazis, qui défiguraient la ville à plusieurs endroits, et, qui, malgré tous les efforts des gouvernements successifs, n’avaient jamais pu être détruits .

 

Il arpentait maintenant les rues de l’ancien ghetto: Leopoldsgasse, Karmelitengasse, Im Werd .... Même si aucune plaque, aucun monument, aucune synagogue, même, ne l’attestaient, on y ressentait l’atmosphère et la présence de la population juive et de ses fantômes . Tout évoquait ici l’exil, le malheur, le déracinement, la fuite, les fuites, de ce peuple ce peuple qui avait vécu tant d’Histoire(s), avant de bénéficier, enfin, d’un peu de géographie .

 

Am Tabor, Praterstrasse, les rues succédaient maintenant aux ruelles; et il allait bientôt quitter le royaume des souvenirs et des ombres pour des endroits plus fréquentés .

Metzger commençait d’ailleurs à s’inquiéter, il n’avait toujours pas trouvé celui qu’il cherchait, et, en pleine lumière, sa tâche s’avérerait plus délicate .

Soudain, Zirkusgasse, il eut un sourire: il avait trouvé . L’homme, un grand brun à la peau mate et aux yeux clairs s’avançait innocemment vers lui, sa valise à la main .

Subitement, un bras se tend , un doigt appuie sur la détente; bruit d’une détonation qui claque, cris et râles, un homme s’effondre, une valise tombe, s’ouvre et se vide .

«  Tiens, tiens, très intéressant «  Après s’être, cette fois-ci, servi, Metzger essuya son arme, puis, après l’avoir déposée dans le container à ordures adéquat, rejoignit le Prater .

La grande roue dominait le parc, et ses wagons oscillaient lentement; Metzger, son travail terminé, pouvait enfin rentrer chez lui se reposer, avant les épreuves des prochains jours .

 

 

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Le lendemain . 7h50

 

Le commissaire Hasek rejoignait son poste, aussi calmement qu’à son habitude . La veille, son enquête au sein du Ministère des Travaux Publics avait tourné court . L’argent ayant été retrouvé, les dégâts réparés, et l’action de la justice éteinte; la mémoire du « regretté » Hans Geiger n’avait pas été ternie et il n’était plus nécessaire de pousser plus avant les investigations .

La journée n’avait cependant pas été entièrement vaine, il avait, une fois de plus, découvert l’insondable médiocrité de la bureaucratie autrichienne, ses hiérarchies figées, ses couloirs nus et lugubres, et son culte voué aux « Hausschuhe », sandales que le fonctionnaire viennois aime à porter, de préférence sur des chaussettes de tennis blanches légèrement salies .

 

Tout autre avait été sa visite chez la maîtresse de la victime, une fois franchi le seuil de son logis, on pénétrait dans un univers de satin, de rose et de vert pomme, de tentures indiennes et de bibelots africains .L’appartement et sa décoration outrancière présageaient bien de la sensualité mâtinée de vulgarité de sa propriétaire, superbe plante blonde élevée dans les serres soviétiques.

Le commissaire, encore sous le charme de cette révélation, s’apprêtait d’ailleurs à en rendre compte à son supérieur :

«  Alors, Jonas, et votre enquête ?

   - Eh bien, Monsieur le principal ....

  - Jonas, je vous arrête tout de suite . Je vous ai déjà dit cent fois de m’appeler par mon prénom . Je n’ai jamais été un fanatique des titres; ce n’est pas à un an de la retraite que je vais m’y mettre ....

   - Bien ! Hm ! Werner, je dois vous avouer que je crois avoir rencontré le mobile du crime, ou, du moins, des pots-de-vin que la victime aimait à recevoir .

  - Vous m’intriguez . Continuez !

  - Geiger avait une maîtresse : Eva, jeune top-model d’origine russe . Vous la connaissez, 

    d’ailleurs.

 - Pardon ?

 - Mais oui ! C’est une des mannequins attitrées des magasins Pal...., enfin, ces magasins de   lingerie qui affichent des jeunes femmes dénudées . Mais, passons ...

En fait, Geiger en était   rapidement tombé amoureux, et, comme la demoiselle était gourmande, ses économies n’ont    pas suffi ... .....

 - Et il a commencé son petit manège . Rien d’autre ?

 - Non . Au ministère, ils ont, eux-aussi, classé l’affaire .

 - Bien . Jonas, j’ai encore besoin de vous pour une petite mission . Nos collègues du   commissariat du IIème arrondissement m’ont averti qu’un certain Vassili Kontchaieff avait   été retrouvé assassiné dans la Zirkusgasse . Normalement, l’enquête devrait tourner court;

  Kontchaieff était bien connu par nos services comme ayant des accointances avec la mafia    slovaque . Je vous demande toutefois de suivre l’affaire, on ne sait jamais ......

- Compris, patron . A bientôt « 

 Jonas approchait maintenant de l’Urania; de l’autre côté du canal, c’était le quartier de Léopoldstadt, théâtre d’une deuxième mort violente en deux jours . Bizarre !

Pourtant, le commissaire songeait encore à ses investigations de la veille .

«  Pauvre Geiger ! « pensait-il, «  s’abaisser à voler pour une Femme. Il est vrai que la demoiselle était des plus ravissantes, bien qu’un peu commune .. »

Il y a quelques années cependant, jamais  il n’aurait pensé que l’on puisse se ruiner pour une femme; dans son esprit encore marqué par un catholicisme puritain et obtus, il aurait alors immédiatement assimilé une telle créature à un démon, lubrique et tentateur .

Mais les choses avaient un peu changé depuis qu’il connaissait Alicia . Jamais, il n’aurait pensé que l’amour fut si bon, si apaisant, ce cocktail de passion et de tendresse, de whisky et d’orangeade; mais Alicia lui avait ouvert les yeux et le coeur, lui avait fait découvrir des rivages merveilleux, des jardins secrets et des oasis mystérieux ..Il commençait à comprendre Geiger, même si il n’accordait pas la même valeur à cette aventurière qu’à sa douce Alicia .


Publié dans Essais littéraires

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