Demain, je change de voiture après 200 000 km au compteur et 7 ans de bons et loyaux services.
Hommage !
Adieu à un témoin muet .
Cette fois, c'est la fin. Elle le sait, et le liquide noirâtre qui coule de ses entrailles ne laisse présager rien de bon, quant au diagnostic.
Tous sont là, venus rendre un dernier hommage à la vieille servante, l'amie de la famille.
C'est peu de temps après le mariage des parents qu'elle est rentrée à leur service.
C'était l'époque des week-ends en montagne, des soirées parfois arrosées avec les copains, des vacances en camping.
Un jour, elle eut l'immense joie de participer à la naissance de l'aîné des fils, et de se moquer, forcément silencieuse, des angoisses du père et de l'émoi de la mère.
Et puis, elle a commencé à s'essouffler, à être moins vive, moins disponible ; le pater familias l'a alors remplacée par une collègue certes plus jeune, plus souple et plus rapide, mais plus fragile. Elle, la vieille courageuse, ne demandait qu'une ou deux visites par an chez un spécialiste pour vérifier que tout fonctionnait bien.
Alors, elle s'est chargée du premier fils, entre semaines à la fac et trimestre d'armée, entre les amours déçues et les amitiés trahies.
A vrai dire, il ne se souciait que peu d'elle, de sa santé ; parfois, toutefois, il connaissait des bouffées de tendresse, des attentions délicates pour le témoin efficace et muet de son enfance.
Lorsqu'il est parti pour d'autres cieux, elle a voulu également s'occuper du cadet ; elle a, un moment, surveillé son apprentissage, ses premiers pas de pilote….
Mais elle avait trop présumé de ses forces. Elle allait s'éteindre, désormais, au milieu de ce cimetière d'éléphants : R 9 Gordini, Dauphine et Deudeuche.
Elle était morte, maintenant, la courageuse petite voiture, la compagne des jours heureux et des escapades, des soucis de la vie et des chagrins passagers.
Alors, ils sont venus, ils sont tous là, rendre un dernier hommage à celle qui avait accompagné leur jeunesse, leur enfance, leur adolescence.
Ils lui devaient bien cela.