Misère des maires

Publié le par Fred

Extrait d'un article de "Libération " de ce jour sur le quotidien d'un maire de banlieue, confronté à la misère et à la détresse .....



Petits conseils municipaux
Cécile est mise à la porte par son ex, Sonia ne trouve plus de travail, Chrystèle a du mal à nourrir son bébé... Pour ces trois habitantes de Sevran (Seine-Saint-Denis), le maire communiste Stéphane Gatignon est le dernier recours.
Par Charlotte ROTMAN
QUOTIDIEN : Mercredi 12 juillet 2006 - 06:00
Andrée est en robe à palmiers, Georges en chemise bleu roi. Ils entrent, le pas ferme, un paquet de photocopies sous le bras. Avant de leur ouvrir la porte de sa permanence, le maire de Sevran a enfilé sa veste de costume. Il fait chaud, pourtant. Mais Stéphane Gatignon, 36 ans, tient à cette «marque de respect» envers ses administrés. Maire communiste de la ville depuis 2001, il a gardé dans sa bibliothèque les oeuvres complètes de Lénine et de Maurice Thorez, «pour rigoler», dit-il. Dans son bureau, lors de sa permanence hebdomadaire, il parle souvent à ceux qui sont «au bord de la rupture» et qu'il veut aider  à «ne pas se retrouver en marge». Ce n'est pas vraiment le rôle du maire. Il l'admet. Plutôt «celui d'une assistante sociale ou d'un psychologue» . Mais, dans une ville de Seine-Saint-Denis comme Sevran (plus de 4 000 chômeurs, 1 400 RMistes sur 50 000 habitants, 70 % des familles bénéficiaires d'exonération ou de dégrèvements sur les services municipaux), cela le devient. Andrée et Georges (1) sont retraités . Ils voulaient vendre leur pavillon, devenu trop grand, mais les agences immobilières en donnent une estimation très basse. Le maire écoute sans prendre de notes. Andrée et Georges font les questions et les réponses. «C'est à cause du pavillon d'en face, qui a été racheté», explique Andrée. Elle se penche vers le maire : «...par des Polonais» . L'élu se tait. «Ils l'ont agrandi sans permis de construire et en ont fait un vrai palace. Du coup, avec un tel vis-à-vis, on ne peut plus vendre. Ils voient dans notre assiette !»  «Attendez !» interrompt le maire. Il se lève, demande à sa secrétaire «le numéro de "l'urba"», se rassied. «Avouez que ce n'est pas normal. Il n'y a pas eu un passe-droit, quelque part ?» Andrée et Georges habitent à Sevran depuis vingt-sept ans : «On vous a vu à la fête, samedi.» Stéphane Gatignon part faire des photocopies. Au mur, derrière son fauteuil vide, le J'accuse de Zola. «Il ne va pas nous mettre au rancart comme ça», glisse Andrée. Le maire revient. «Nous, on paie des impôts, eux rien. Et en plus ils font la fiesta. Là-dedans, ils se croient tout permis», reprend la femme. «Je vais me renseigner et je vous tiens au courant», dit le maire. «De toute façon, on ne lâchera pas comme ça», répond le couple en guise d'au revoir.
«C'est un enfoiré, votre mari» 
Cécile a 39 ans. Elle vient demander un logement. C'est une petite femme, au teint hâlé. Elle se tient droite et raconte sans se plaindre. «J'ai demandé la séparation d'avec mon ex-concubin. Cela ne lui a pas plu et il m'a mise à la rue.»  «Non !?» s'exclame le maire.  Elle tend une feuille : «Tout est noté là par le juge des affaires familiales.» Cécile a trois enfants de 14, 10 et 7 ans. «C'est lui qui en a la garde. Tant que je n'ai pas de logement, je ne peux pas faire la résidence alternée.» L'homme et la femme avaient acheté cette maison ensemble. «Monsieur considère que le pavillon est à lui, parce que j'ai arrêté mon travail pour élever les enfants. Maintenant il a la maison, les enfants et il a retrouvé quelqu'un.» «Il faut tenir», dit le maire. Elle sourit : «J'ai un CDI. Mais je ne veux pas continuer à habiter chez mon père malade. Il faut que je retrouve mon indépendance.» Le maire : «Le problème, c'est que les bailleurs sociaux ne veulent pas de femmes seules avec enfants. Ils ont peur qu'elles ne paient pas les loyers, que les enfants ne soient pas tenus. Je suis un peu cru, mais, même si on se bat contre ça, c'est la réalité.» Dans cette ville, on compte 1 200 demandes de logement. Chaque année, seulement 100 familles trouvent un appartement. «Vous gagnez combien par mois ?» «Le Smic. Et je paie une pension alimentaire.» «C'est l'enfer», lâche l'élu, prenant sa tête entre ses mains. «Vous me remontez le moral !» rigole Cécile. «C'est un enfoiré, votre mari...» La femme regarde le maire. «Il y a eu violence.» Elle n'en dit pas plus, il ne demande rien. Il faudra qu'elle dépose une demande de logement social, et se renseigne sur le 1 % patronal. «Je ne la lâche pas, nous glisse Gatignon. Je ne peux pas faire grand-chose, mais je peux emmerder tout le monde pour qu'elle ait un logement. Sinon, dans six mois elle est détruite.» Cécile reviendra dans deux semaines. A la demande du maire.
«Je n'ai pas confiance en moi» 
Voici maintenant Sonia, en jean et débardeur blanc. Elle est déjà venue à la permanence en mars parce que son fils n'était pas scolarisé en maternelle. Son mari est très malade. Stéphane Gatignon prend des nouvelles. Le mari ? Il a trouvé un travail. Le fils ? Il est inscrit à l'école. Les vacances ? Elle partira dix jours grâce à une association. Le service RMI ? Elle est dorénavant suivie. Il l'écoute : elle parle de sa «fatigue», de son «évanouissement au centre commercial», de son «stress». Elle est à la recherche d'un emploi. «J'ai fait secrétaire commerciale. J'ai amené mon CV, comme vous me l'aviez demandé.» Il l'encourage du regard. «ça fait longtemps... Je ne connais plus le monde du travail, je n'ai pas confiance en moi.»  «Pourtant, ajoute-t-elle, j'ai toujours été une battante. J'ai donné mon CV à Intermarché et Monoprix. J'attends des réponses. La dernière fois, j'ai appelé, on m'a dit : "On a pris une petite jeune."» Elle ajoute : «J'ai 39 ans, je ne suis ni jeune ni âgée.» Le maire l'interrompt : «Le problème, c'est que pour un poste il y a quarante personnes.» Elle répond : «Le problème, c'est qu'on n'a jamais l'occasion d'avoir un entretien.» «Vous avez le moral ?» Faible sourire. «Oui, mais je m'inquiète.» Sonia fait du bénévolat : des ateliers couture, de la coiffure pour des familles qui n'en ont pas les moyens. «C'est bien, vous avancez», approuve le maire. Elle le regarde, le remercie pour sa «compréhension». 
«Les gens du quartier se droguent» 
Les N'guyen sont venus avec leurs deux enfants. Ils saluent «Monsieur le maire» avec cérémonie. C'est l'homme qui parle. Elle approuve en silence. Les enfants se tiennent bien. Il a préparé «un courrier avec [ses] idées». Les N'guyen vivent dans une ancienne zone industrielle, près d'un bassin de rétention de pneus. Leur terrain est dénivelé d'au moins un mètre cinquante par rapport à la rue. Ça sent les eaux croupies. Une déchetterie va être ouverte à proximité. Ces pavillons sont parmi les derniers à avoir été construits dans la commune. Les N'guyen «habitent un endroit où ils n'auraient jamais dû habiter», admet Stéphane Gatignon. Ils se plaignent du quartier. «Sans oublier des individus qui nous insultent sans raison, qui nous lancent des cailloux, nous sommes victimes de l'insécurité», ont-ils écrit dans leur lettre. «Il y a une structure d'accueil pour les jeunes en difficulté ou en échec scolaire à proximité, explique le maire, je sais qu'ils ont cassé les vitres d'un bâtiment, mais j'ai demandé aux voisins, pour l'instant il n'y a pas d'autres plaintes.»  «Des voyous !» dit Gérard N'guyen en agitant la tête. «Je vais intervenir auprès du directeur du centre», propose le maire. «J'ai déjà été voir la police, poursuit le visiteur. La nuit, les gens du quartier boivent, se droguent, il y a des bouteilles dans le parc.» Les N'guyen sollicitent l'autorisation de mettre une palissade autour de leur jardin, pour leur «protection». 
Chrystèle est arrivée à Sevran il y a deux mois. Ses cheveux sont tirés en queue-de-cheval. Face au maire, elle serre les dents. En dit le minimum. Elle a un bébé de 5 mois dans les bras. «C'est un petit garçon ?» hasarde le maire. «Non. On m'a passé des vêtements de garçon, c'est pour ça.» Sa fille aînée, 5 ans, écoute en silence. Chrystèle a 29 ans. Elle ne travaille pas. Elle devrait toucher l'allocation parent isolé mais en a été privée par erreur. Son concubin l'a abandonnée en emportant tout, «y compris les vêtements des enfants et les jouets», a précisé une voisine dans un courrier. Il a laissé une ardoise de 7 000 euros. Chrystèle a déménagé à Sevran. Pour l'instant, elle n'a rien pour payer le loyer. «Mais je devrais avoir l'APL [aide personnalisée au logement, ndlr] .»  «Bon, un bon point, déjà, souffle le maire. Vous avez besoin d'une aide d'urgence ?»  «Oui. De couches, de lait... Des voisines me ramènent de la nourriture, des vêtements.» Au centre communal d'action sociale, on lui a donné un ticket pour six couches et un colis alimentaire. Elle n'a rien pour cuisiner. Une amie lui a passé un frigo, il lui manque une gazinière. «Vous connaissez le Relais bébé ? Vous pourrez y récupérer des vêtements. C'est en face de la mairie», indique l'élu. Puis, pour lui-même : «On va demander au Secours catholique, au Secours populaire, s'ils ont des réchauds...» Une habitante de l'immeuble a décroché un rendez-vous pour Chrystèle avec les services sociaux... dans un mois. En attendant, on lui a proposé des tickets-restaurant. «On va essayer de vous trouver un rendez-vous avant», assure le maire. Elle hoche la tête. «Il faut aussi inscrire votre grande fille à l'école», insiste le maire. L'enfant n'est plus scolarisée depuis leur arrivée à Sevran. «Allez au service de la petite enfance, près de la salle des fêtes.»  «Je ne connais pas.» Stéphane Gatignon la raccompagne. «ça va aller ?» Chrystèle n'a pas eu une larme. Elle part avec son aînée silencieuse et la petite habillée en garçon. «On vous rappelle demain», promet le maire.
«Une ville pauvre» 
Marie-Claude sort un petit carnet. Elle y a noté ses «idées pour la ville» . Elle est souriante, pleine d'entrain. Stéphane Gatignon se détend. Il lance un regard entendu à son directeur de cabinet : pas besoin de contacter les services sociaux, cette fois-ci. Il s'enfonce dans son fauteuil. Marie-Claude s'est installée à Sevran il y a deux ans. «Quand notre premier enfant est venu, nos besoins matériels nous ont fait déménager en banlieue. On a acheté à Sevran.» Marie-Claude lit «les tracts, les journaux de la ville» et a constaté qu'il y avait «pas mal de problèmes». Le maire sourit : «C'est vrai que Sevran est structurellement une ville pauvre.»  «Quand on dit ça, les gens entendent qu'il n'y a que des Noirs et des Arabes, rétorque Marie-Claude... C'est vrai que nous sommes nombreux.» Elle continue : «J'ai voulu inscrire mon enfant à la crèche : pas possible. On m'a proposé une halte-garderie, seulement pour deux heures par semaine. Qu'est-ce qu'on fait en deux heures ? On n'a pas le temps d'aller à un rendez-vous professionnel, ni le temps de faire des courses.» Le maire acquiesce. «Dans votre quartier, un lieu d'accueil de la petite enfance va ouvrir en septembre.» A l'heure actuelle, Sevran dispose de 180 places en crèche... pour 2 400 enfants de 0 à 3 ans. Marie-Claude a mis le sien à Livry-Gargan, une commune voisine. «On fait un gros effort sur les équipements, plaide le maire. On refait les écoles, les centres de loisirs, les parcs... Le problème, c'est que tout cela aurait dû être fait il y a trente ans.» Cela fait trois quarts d'heure que Marie-Claude parle de la ville avec le maire. Elle serait bien restée un peu. Mais il est 18 h 45. Et il y a encore du monde dans la salle d'attente.

© Libération


..... et de son pendant d'un village rurbain

«  Bienvenue à la maison des Pleurs « 

Plus encore que l’altière devise « Liberté, Egalité, Fraternité », tel pourrait être le sous-titre affiché en dessous du fronton de l’Hôtel de Ville.

C’est que, dans une petite commune comme la nôtre, le maire et son équipe se doivent d’être omniscients, omnipotents, omniprésents .

Régler les querelles de voisinage, arbitrer les conflits familiaux, pourchasser les incivilités, combattre les nuisances sans faire usage de la force publique, distribuer insecticides, morts aux rats ou crève pigeons jusque sur le perron de la mairie, interdire à l’étranger, même celui de la commune voisine, de stationner en ville, et surtout ne rien faire de trop novateur ni de trop perturbant en dynamisant le village et animant la cité, telle est sa mission . Tout juste s’il ne lui est pas demandé de guérir les écrouelles.

 

Et il a beau expliquer, tenter de convaincre d’exigeants administrés que d’autres interlocuteurs sont certainement mieux armés pour résoudre les problèmes, le petit peuple n’en a cure, ignorant qu’il est des différents échelons de responsabilité –Etat, Département, syndicat des eaux, syndicat d’ordures ménagères .

 

Et si le maire ose avouer son impuissance, l’argument ultime est alors asséné : les impôts.

«  Puisque je paye des impôts, tout m’est dû et je ne dois rien .  »

 

Pour ces bons français, la liberté signifie le droit d’enfreindre la règle en déniant aux autres la possibilité de le faire ; l’égalité, celui d’ être plus égaux que son prochain.

 

Quant à la fraternité, et à son corollaire, la solidarité ; mieux vaut ne plus y compter .

 



Publié dans Choses vues

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P
excellente , mais desesperante , definition de la liberté et de l'egalité a la française.pour rebondir sur un de tes anciens textes, en Allemagne ,dans les pays scandinaves , et même dans les pays de l'Est ou le liberalisme debridé a fait tres mal la notion d'effort collectif et d'interet général est plus presente chez les gens <br />  
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